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Pour un nouveau contrat social dans les pays du Moyen Orient et de l'Afrique du Nord

24 Jul 2015
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 Par: Mohamed Mondher Belghith

La Banque Mondiale vie de publier, le 15 avril 2015, un rapport de l’Observatoire Economique de la Région MENA intitulé : « Un nouveau contrat social au Moyen Orient et en Afrique du Nord »1. Ce rapport brosse un tableau sur l’évolution et les perspectives de la croissance dans cette région et analyse les carences du développement qui font apparaître la nécessité de revoir en profondeur les rapports entre l’Etat, les citoyens et les agents économiques dans cette partie du monde. Si l’analyse et le diagnostic effectués par l’Observatoire, ainsi que la nécessité d’un nouveau contrat social peuvent faire l’unanimité, les quelques remèdes préconisés seront loin de convaincre les différentes sphères de la politique et de l’économie tant elles sont conformes aux dogmes immuables de la Banque Mondiale qui est, elle aussi, appelée, à mon humble avis, à refonder ses optiques et ses politiques notamment en direction des pays en développement.

 

Dans une première partie, le rapport présente un aperçu général des récentes évolutions de l’économie de la région et des prévisions futures à travers les projections de la Banque Mondiale, du FMI et du consensus établi, en comparaison avec les perspectives mondiales et en tenant compte de la chute des prix du pétrole. La deuxième partie a été consacrée aux carences des modèles de développements à travers l’analyse de l’évolution de l’emploi dans le secteur privé, la qualité des services publics et les principales recommandations qui se résument en la nécessité de redéfinir les contrats sociaux dans les pays de la région.

Le rapport présente, par ailleurs une analyse des effets du blocus de la bande de Gaza sur son économie en comparaison avec celle de la Cisjordanie. Un bref aperçu sur l’évolution de chaque pays est présenté en fin du rapport.

Une croissance molle

Sur le plan de la croissance économique, les prévisions indiquent que le taux de croissance du P.I.B de la région restera stable et se situera dans les limites de 3.1% à 3.3% en 2015 et de 3.6% à 3.9% en 2016, sauf si la situation s’améliorait en Libye et que les exportations de pétrole augmenteraient, auquel cas la croissance pourrait atteindre 4% à 5% ; alors que la moyenne mondiale sera entre 3% et 3.5% en 2015 et entre 3.3% et 3.7% en 2016.

La mollesse de la croissance de la région trouve son origine, selon le rapport, dans 3 raisons majeures, à savoir :

  • la persistance et la longue durée des conflits et l’instabilité politique dans plusieurs pays de la région (Syrie, Iraq, Libye, Yémen) ;
  • la chute des prix du pétrole qui induit une baisse des taux de croissance des pays exportateurs ;
  • la lenteur des réformes.

La conjonction de ces phénomènes ne pouvait qu’entrainer la baisse des investissements, la recrudescence du chômage et l’aggravation du déficit des finances publiques.

Mais ce taux de croissance moyen pour la région cache en fait des disparités importantes entre les différents pays de la zone. En effet, pour les pays importateurs de pétrole, le taux de croissance prévu pour 2015 est estimé à 4% à la faveur de la chute des cours et de la mise en œuvre de certaines réformes en particulier en Egypte (4.3%) et au Maroc (entre 4.6% et 4.8%). Quant à la Tunisie, qui a achevé sa phase de transition politique, elle connaîtra un début de reprise timide de 2.6% en 2015 et de 3.4% en 2016 contre 2.2% en 2014 grâce, notamment, au rebond des industries manufacturières et du tourisme malgré les effets de la dernière attaque terroriste au musée du Bardo.

En Jordanie et au Liban, les économies sont en train de reprendre lentement mais surement malgré les incidences des guerres civiles dans les pays limitrophes. Le taux de croissance de la Jordanie avoisinera 3% en 2015, soit un peu plus que son niveau de 2010. L’accroissement des investissements publics et la réduction du déficit de la balance commerciale y ont largement contribué. Au Liban la croissance demeurera en dessous de 2.5% en 2015 et 2016 mais pourrait atteindre son niveau des années 2000 si l’impasse politique actuelle trouverait une solution rapide.

L’économie palestinienne continue à souffrir sous le poids du blocus de la bande de Gaza. La croissance attendue en 2015 est estimée à moins de 1% en 2015 après une contraction de 0.8% en 2014 sous l’effet de la croissance négative de 15% enregistrée par la bande de Gaza (contre 4% en Cisjordanie) avec la baisse des fonds alloués par les pays donateurs et les restrictions de l’occupant israélien sur l’introduction des matériaux de construction.

Pour les pays exportateurs de pétrole, la croissance s’établira autour de 2.8% en 2015 avec 3.2% à 3.8% pour les pays du CCG et une stagnation pour les autres pays exportateurs avec un taux de croissance inférieur à 1%. Selon les prévisions de la Banque Mondiale les pays du CCG perdraient près de 215 milliards de dollars de leurs revenus pétroliers en 2015, soit près de 14% de leur PIB. Si le Royaume d’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Koweït et le Qatar peuvent résister aux effets négatifs des faibles cours du pétrole grâce à leurs larges réserves, il n’en va pas de même pour le Bahrein ou Oman qui ont moins de marges de manœuvres. Cependant, malgré le matelas financier qu’ils possèdent, ces pays ne manqueront pas de sentir les effets de ces faibles cours sur leurs budgets.

Pour les autres pays exportateurs de pétrole, la situation sera encore plus difficile. En Algérie, le taux de croissance en 2015 chutera de moitié et s’établira autour de 2.5%. Le pays devra faire face à un doublement de son taux de déficit budgétaire par rapport au PIB et son déficit courant passera de 4.2% du PIB en 2014 à 18.6% en 2015. Le ralentissement de l’activité économique entrainera un accroissement du taux de chômage qui passera de 9.8% en 2013 à 10.6% en 2015 et 11% en 2016.

Pour les pays en conflit, les perspectives économiques sont plus obscures. En effet, en Iraq, les attaques de l’EI ont entrainé une large envolée des dépenses militaires qui ont fortement impacté l’économie de ce pays. La croissance y sera négative en 2015 après une contraction de 0.5% en 2014 due au déclin de l’activité économique dans les zones occupées par les insurgés de l’EI. Le déficit budgétaire risque d’atteindre 10.6% du PIB. Les dépenses publiques courantes qui constituent près de 70% du budget laissent peu de place à l’investissement public qui est en train de décliner. Beaucoup de projets ont même été arrêtés.

Pour ce qui est de la Libye, en plus de l’impact de la baisse des cours, le conflit a entrainé l’interruption des exportations du pétrole. L’activité économique s’est contractée de près de 24% en 2014 après une baisse de 13% en 2013. Et malgré quelques prémices d’amélioration, l’activité économique restera encore faible en 2015. Et si le pays compte sur ses larges avoirs à l’étranger, force est de constater que celles-ci ont régressé, à la fin décembre 2014, de 40% par rapport à leur niveau de juillet 2013.

S’agissant du Yémen, la situation politique et sécuritaire a été à l’origine de la stagnation enregistrée en 2014 avec une croissance nulle après un accroissement de 4.8% en 2013. En 2015, une contraction est attendue avec la persistance et l’aggravation des risques sécuritaires. Le déficit budgétaire a augmenté pour atteindre 8.7% du PIB en 2014. Et cette tendance se poursuivra en 2015.

En Syrie, en l’absence de données en raison de la poursuite de la guerre civile, certaines prévisions font état d’une baisse du taux de contraction de l’économie, voire même une croissance positive de 2% en 2015 qui serait impulsée par une grande mobilité des affaires vers les zones côtières qui connaissent plus de stabilité.

La chute des cours du pétrole et le déficit budgétaire : des effets contrastés

Au niveau des finances publiques, et en tenant compte de la baisse des cours du pétrole, la région MENA verra son excédent de 0.1%, prévu initialement pour 2015, ramené à un déficit de 8%. En effet, pour les pays du CCG on passera d’un excédent prévu de 5.3% à un déficit prévu de 7%. Quant aux autres pays exportateurs de pétrole, leur déficit estimé pour 2015 passera de 2.7% à 9.3 %.

Par contre pour les pays importateurs de pétrole, le déficit sera ramené de 8.9% à 8.7%. Mais il faut noter, aussi, que la baisse des revenus du pétrole risque, par ailleurs, de réduire le montant des transferts des travailleurs immigrés dans les pays du golfe, ce qui affecterait principalement l’Egypte, la Jordanie et le Yémen, où ces transferts constituent une source importante des recettes extérieures. Elle ne manquera pas d’avoir, en outre, des répercussions majeures sur l’aide financière et les investissements des pays du golfe en direction des autres pays de la région.

Création d’entreprise et emploi : Un manque de vivacité et de dynamisme

Dans un chapitre consacré à la création d’emplois dans le secteur privé, le rapport indique que dans la région MENA, comme dans les économies à fort taux de croissance, la majorité des postes d’emploi sont créés par les nouvelles entreprises et les start-ups. A titre d’exemple en Tunisie et au Liban, toute la création nette d’emploi a été générée par les nouvelles entreprises dans leur phase de lancement, soit les quatre années suivant leur création. En Tunisie entre 1996 et 2010, 580000 emplois ont été créés par les micro-start ups, soit 92 % des nouvelles créations d’emploi. Au Liban, ces petites nouvelles entreprises ont généré 66000 emplois entre 2005 et 2010, soit 117% de la création nette ; en deuxième position on retrouve les nouvelles grandes entreprises (employant entre 200 et 1000 employés) avec 12000 créations.

Le problème dans cette région réside dans la faiblesse du nombre d’entreprises qui se créent et de celles qui disparaissent pour permettre à d’autres nouvelles unités d’entrer sur le marché. Ainsi, l’âge médian des entreprises est le plus élevé dans le monde en développement. Le taux de sortie du marché des entreprises est à peine plus élevé que 4% dans l’industrie manufacturière et de moins de 6% dans les services, alors que le taux d’entrée de nouvelles entreprises dans ces deux secteurs est, respectivement, de 8% à près de 10%.

Par ailleurs, les petites entreprises restent, presque toujours de petite taille ou disparaissent. En Tunisie et au Maroc, une toute petite fraction des micro-entreprises ou d’entreprises individuelles a pu évoluer vers une catégorie supérieure en 10 ans.

Les 4 raisons essentielles invoquées par les chefs d’entreprises pour expliquer cet état de fait sont l’incertitude macroéconomique ainsi que celle de la régulation, l’instabilité politique et la corruption. L’accès au financement n’a été invoqué qu’en 11 position.

L’instabilité politique et sécuritaire a contribué à éloigner l’investissement étranger du secteur des industries manufacturières générateur d’emploi et de transfert de technologie au profit de l’immobilier et des industries extractives peu pourvoyeurs d’emploi.

Sur un autre plan, le rapport indique que l’attractivité du secteur public en raison de l’importance des avantages sociaux et des hauts salaires qu’il prodigue font monter les salaires du secteur privé et le rendent moins compétitif. Les jeunes sortants de l‘enseignement qui préfèrent attendre un emploi dans le public vont rejoindre le secteur informel avec de bas salaires et sans aucune sécurité. La part du secteur informel a énormément augmenté au cours de la dernière décennie pour atteindre 67%. Cela a entrainé, par ailleurs, l’exclusion d’une bonne partie des femmes de la population active (découragées de trouver un emploi dans le formel) malgré leur formation et leur niveau d’instruction. Le contrat social ancien où le gouvernement était le principal employeur est donc rompu. Pour les auteurs du rapport ce modèle devrait être remplacé par un nouveau contrat où le gouvernement doit œuvrer à faciliter l’émergence d’un secteur privé dynamique et créateur d’emploi.

Pour un nouveau contrat social

Dans cette partie, le rapport présente, d’abord, une image instantanée de la région MENA qui donne une idée décourageante avec des conflits armés, en Syrie, Iraq, Libye et au Yémen. Ces conflits sont en train de détruire des vies humaines et dévaster les infrastructures et les économies nationales, avec des effets néfastes sur les pays limitrophes tels que le Liban, la Jordanie ou la Tunisie. Il précise que le coût de la guerre en Syrie et des attaques de l’EI est estimé à 35 milliards de dollars en terme de production perdue entre 211 et 2014. Pour les pays en transition, comme le Maroc, l’Egypte, la Tunisie et la Jordanie, les réformes de l’économie sont mises en œuvre lentement quoique dans un contexte de croissance anémique, de déficit budgétaire élevé et d’un chômage des jeunes en constante augmentation.

Toutefois, les perspectives à plus long terme révèlent, selon les auteurs du rapport, plus d’homogénéité de la région et un avenir plus optimiste. Malgré leurs différences actuelles, les pays de la région ont suivi, depuis leur indépendance, plus ou moins, le même modèle de développement. L’Etat devait y fournir des services de santé gratuits, l’éducation pour tous et des subventions pour les produits alimentaires et l’énergie. Le secteur public était l’employeur formel le plus important. En retour des largesses de l’Etat, la voix du peuple était limitée.

Ce contrat social a réussi à donner des résultats tangibles sur les plans économique et social. En effet, dans les années 2000, la croissance moyenne était de 4 à 5% par an, les taux de pauvreté ont baissé, tous les enfants bouclaient leurs études primaires, le nombre des élèves du secondaires et des étudiants du supérieur étaient en constante augmentation, notamment les jeunes filles. La région a, en outre, réalisé la plus forte baisse de la mortalité infantile dans le monde. Et contrairement à la perception générale, l’inégalité mesurée selon les standards internationaux tels que le coefficient de Gini, était plus faible que dans les pays comparables.

Après les années 2000, des signes d’essoufflement apparaissent, indiquant que ce modèle commence à s’effilocher. La combinaison de compensations élevées et d’un large secteur public avec de hauts salaires était difficilement supportable pour les budgets des Etats. Les déficits ont commencé à s’élargir. Les recrutements dans le secteur publics ont été limités et la part de l’emploi dans ce secteur a commencé à décliner. Mais le secteur privé formel n’a pas pu absorber les vagues de plus en plus importantes des sortants de l’enseignement qui arrivaient sur le marché du travail. Les taux de chômage ont donc augmenté pour atteindre le plus haut niveau dans le monde en développement.

Le secteur informel s’est développé, comme cité supra, et employant surtout les hommes, une majorité de femmes découragées sont sorties de la population active. La région se retrouve avec, toujours, le taux le plus faible de la participation de la femme au marché du travail, soit 21.6% contre 63.6% en Afrique sub-saharienne et 61.3% en Asie de l’est et le Pacifique.

En même temps et en continuant à financer la santé et l’éducation, le secteur public a échoué sur les deux fronts de la qualité et de l’équité. Aussi, avec la détérioration de la qualité qui a touché tous les services publics et qui apparaissent dans les résultats alarmants enregistrés par la région (en matière de résultats scolaires, de coupures d’électricité, d’adduction d’eau potable…), les populations se sont-elles trouvées poussées vers le secteur privé où les chances d’équité sont loin d’être garanties et où les prix sont déterminés par le marché. La responsabilisation et la redevabilité envers les citoyens ne fonctionne plus, notamment pour les plus pauvres, et la confiance des citoyens envers leurs gouvernants et leur participation à la vie publique s’en est trouvée fortement ébranlée. Les soulèvements populaires du printemps arabe en sont la plus évidente expression.

 

Que devrait-on faire ?

Les auteurs du rapport recommandent de mettre en place un nouveau contrat social qui soit plus à même de répondre aux besoins et aux aspirations des nouvelles générations. Ce contrat devrait redéfinir le rôle de l’Etat qui:

  1. au lieu d’être le principal employeur devrait promouvoir la compétition dans le secteur privé et l’égalité des chances entre tous les entrepreneurs.
  2. Au lieu de fournir des services publics gratuits ou subventionnés et de piètre qualité, devrait remplacer les subventions par des transferts monétaires ciblés et laisser le marché déterminer les prix pour tous.
  3. Consacrerait les dépenses publiques pour le financement des biens publics comme l’infrastructure et les transferts monétaires.

 

Ces changements qui devraient toucher tous les secteurs en même temps, ne peuvent, cependant, pas être opérés du jour au lendemain et au même rythme pour tous les pays. Pour les pays en guerre, il faudrait d’abord résoudre les conflits. Pour les pays en transition il faudrait engager les réformes en concertation avec les forces politiques pour éviter tous les risques de déstabilisation. Pour les pays pétroliers, les changements peuvent être mis en œuvre sur un plus long terme.

Et le rapport de conclure que « dans la mesure où les pays de la région MENA ont montré qu’ils pouvaient s’en sortir avec l’ancien contrat social et à permettre à leurs citoyens de bénéficier de progrès substantiels, ils peuvent faire de même avec un nouveau contrat social. »

Last modified on Tuesday, 22 December 2015 01:56
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