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Politique monétaire suisse: Fin du taux plancher, et apres?

21 Dec 2015
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Par: Olivier Rigot

La décision de la Banque Nationale Suisse (BNS) d’abandonner le 15 janvier dernier le taux plancher établi en 2011 à Chf 1,20 contre euro a fait couler beaucoup d’encre récemment. Il nous paraît important de revenir sur ce sujet que nous avons abordé à plusieurs reprises dans nos publications ces dernières années car de nombreux aspects liés à cette décision récente n’ont pas été traités. En préambule, nous rappellerons que nous avons été de fervents critiques de cette politique interventionniste sur le marché des changes qui devait demeurer temporaire dans le temps et qui, finalement, s’est révélée un piège dont la seule porte de sortie a été la décision annoncée en catastrophe un jeudi en milieu de matinée en plein négoce sur les marchés financiers. La BNS a réussi en l’espace de quelques heures à créer un choc déflationniste pour l’économie suisse alors que toute sa politique était destinée ces dernières années à contrecarrer la survenance d’un tel risque.


Chronologie des événements

Rappelons tout d’abord rapidement la chronologie des événements qui ont conduit la BNS à cesser ses interventions sur le marché des changes. Pendant des années, suite à l’introduction de la monnaie unique en Europe, le franc suisse a été quelque peu délaissé par les investisseurs internationaux et son statut de monnaie refuge éclipsé. Historiquement, le franc suisse s’apprécie, grâce aux qualités intrinsèques de l’économie suisse, de l’ordre de 2-2,5 % par an. Pendant près de 10 ans, le franc suisse est resté très stable contre l’euro, fluctuant dans une fourchette comprise entre Chf 1,45 et 1,65, touchant même un sommet à Chf 1,68 à la fin de l’année 2007 avant que la crise dans l’Union monétaire européenne ne fasse bondir le franc suisse durant l’été 2011 pour atteindre la parité face à la monnaie unique. La BNS avait intelligemment agi en plusieurs temps afin d’enrayer la spéculation sur le marché des changes qui dérapait au-delà de toutes raisons. Nous avions écrit, durant l’automne 2011, que la fixation du taux plancher à Chf/euro 1,20 par notre institut d’émission correspondait au niveau théorique du franc suisse, reflet de cette appréciation historique de l’ordre de 2 à 2,5 % contre un panier de monnaies internationales. Nous étions certainement les seuls dans le marché à affirmer que le niveau de Chf 1,20 contre euro correspondait à la juste parité contre la monnaie européenne alors qu’en Suisse de nombreuses voix s’élevaient pour que ce niveau soit remonté à Chf/euro 1,30 voire même à 1,40. Les faits nous ont donné raison car en 2013, alors que la crise de l’euro ne faisait plus la une des médias, le taux de change de l’euro contre le franc suisse a touché brièvement les niveaux de Chf/euro 1,2650 à la fin du mois de mai de cette année-là, les cours de change traitant en moyenne entre Chf/euro 1,22 et 1,24. C’est, à notre avis, durant cette période que la BNS a commis une erreur majeure de politique monétaire. Notre institut d’émission aurait pu profiter de l’accalmie sur le front de la crise de l’euro pour annoncer qu’elle cesserait de défendre le niveau de Chf 1,20 contre l’euro, laissant les forces du marché jouer leur rôle. Cette annonce aurait pu être assortie de déclarations fermes afin de contrer tout dérapage spéculatif. La BNS avait à cette époque-là une grande crédibilité sur les marchés financiers et le franc suisse aurait pu poursuivre son appréciation historique inéluctable, évitant le choc violent, incontrôlé et dévastateur du 15 janvier dernier.

 

De nombreux précédents

L’histoire économique et financière de ces trente dernières années est émaillée de situations où les Etats ont tenté de lier leur monnaie à une autre à travers un lien (« peg » en anglais) et les banques centrales de ces pays galvauder leurs réserves en devises afin de maintenir contre la réalité économique un taux de change fixe prédéfini. Les économies latino-américaines ont souvent tenté de lier leurs monnaies au dollar, les économies asiatiques également. En 1997, la crise asiatique a éclaté lorsque les fondamentaux économiques ne justifiaient plus des parités de change totalement surévaluées par rapport au dollar. Le scénario se déroule toujours de la même façon : la banque centrale du pays concerné tente dans un sursaut de fierté nationaliste de défendre une parité de change qui ne correspond plus à la réalité économique. Des milliards sont jetés dans le marché avant que la banque centrale ne capitule et que les forces du marché ne reprennent le dessus, rétablissant de manière brutale un taux de change réaliste. Le dernier exemple en date concerne la Russie qui a galvaudé un tiers de ses réserves en devises afin de soutenir le rouble sur le marché des changes. La situation de la Suisse est un peu différente puisqu’il s’agissait d’éviter que notre devise, monnaie forte par excellence, ne s’apprécie trop rapidement par rapport à l’euro, devise de nos principaux partenaires économiques et monnaie incorporant toutes les caractéristiques d’une monnaie faible. L’outil utilisé par la BNS ne consistait pas à mobiliser ses réserves de change pour défendre une parité mais à émettre des francs suisses pour chaque euro qui se présentait à la conversion à la parité de Chf 1,20 contre euro. Il s’agit de l’outil monétaire proche du système dit de caisse d’émission monétaire (« currency board ») assorti de la défense d’un taux pivot (« peg ») et qui a contribué à gonfler le bilan de la BNS quasiment à la hauteur du Produit Intérieur Brut suisse. Théoriquement, cette technique peut être utilisée à l’infini et ne connaît potentiellement pas de limites ; le franc suisse se serait dilué dans l’euro et un jour nos autorités monétaires nous auraient annoncé que l’euro aurait désormais cours dans notre pays, scénario auquel nous nous attendions. La BNS a préféré renoncer abruptement à sa politique de défense du taux plancher et laisser l’économie helvétique se battre avec un franc suisse qui s’est apprécié brutalement de 15 %. La politique monétaire suisse est de plus en plus acculée dans une impasse, nous en aborderons quelques aspects plus loin dans notre étude.

 

Le franc suisse est-il surévalué ?

De nombreux observateurs et économistes continuent de prétendre que le franc suisse est surévalué. Ces derniers s’appuient sur la théorie de la parité de pouvoir d’achat pour affirmer que notre devise devrait s’échanger autour de Chf/euro 1.30 plutôt que sur les niveaux actuels de Chf/euro 1.06. La théorie de la parité de pouvoir d’achat entre deux économies est souvent utilisée pour tenter de déterminer un taux de change théorique entre deux devises. Cette approche a rarement donné des résultats probants et les taux de change observés sur les marchés sont souvent durablement éloignés de ce niveau théorique. L’approche par la parité de pouvoir d’achat est réductrice d’une réalité plus complexe dans la formation d’un taux de change qui intègre des paramètres aussi divers que le différentiel d’inflation entre deux économies, le différentiel de taux d’intérêt nominaux et réels et surtout l’excédent ou le déficit de la balance budgétaire, de la balance commerciale et de la balance des paiements. A cela s’ajoute des facteurs subjectifs dans l’esprit des investisseurs, tels que la stabilité politique, la capacité historique du pays à honorer ses dettes, sa position géostratégiqe, etc… La Suisse est l’un des rares pays au monde à enregistrer un triple surplus : budgétaire, commercial et au niveau de la balance des paiements. Nous rappellerons que la balance des paiements représente le solde net de créances qu’un pays détient sur l’étranger dans le cas d’une devise forte ou de dettes qu’un pays doit dans le cadre d’une devise faible. Nous continuons d’affirmer que le franc suisse n’est pas surévalué sur le marché des changes, que son juste prix se situait bien à Chf/euro 1.20 en 2011, niveau d’intervention placé par la BNS. Le fait que l’euro ne soit pas remonté durablement au-delà de 1,24 en 2013 durant une période de relative stabilité sur le front de la crise dans l’union monétaire européenne en est bien la preuve. Le franc suisse a rattrapé brutalement en quelques jours, suite à l’abandon du taux plancher le 15 janvier dernier, son niveau reflétant l’appréciation historique de notre devise de 2-2,5% par an correspondant à une fourchette se situant actuellement entre Chf/euro 1,06 et 1,08.

 

La création d’un fonds souverain, une fausse bonne idée ?

De nombreuses voix s’élèvent en Suisse actuellement pour instaurer un fonds souverain avec les réserves en devises accumulées par la BNS à l’actif de son bilan. Il faut rappeler qu’un fonds souverain est alimenté par la vente d’actifs réels appartenant à un Etat, du pétrole ou du gaz par exemple pour citer les fonds norvégiens ou koweïtiens. La situation de la BNS est bien différente, les actifs figurant au bilan de la BNS résultent d’une création monétaire dont la contrepartie figure sous la forme d’engagements financiers au passif du bilan. Il s’agit d’argent créé ex-nihilo qui ne peut être sorti du bilan et servir à alimenter un fonds investissant dans des valeurs réelles. Les seuls avoirs à disposition de la BNS sont les bénéfices réalisés en fin d’année et qui sont redistribués aux cantons. L’idée consistant à élaborer un fonds souverain avec l’argent provenant de la « planche à billets » ne constituerait dès lors qu’une version moderne de la multiplication des pains ou, à tout le moins, la fin de ce qu’il reste d’orthodoxie financière dans la conduite de la politique monétaire. Il est surprenant que d’éminents professeurs d’économie d’université puissent raisonnablement soutenir une telle idée ; ont-ils réellement connaissance du fonctionnement d’une banque centrale et de la gestion de son bilan ?

 

Quel avenir pour la politique monétaire suisse ?

La politique monétaire continue de naviguer en terrains inconnus ; après l’expérience du taux plancher dont l’économie suisse a fait brutalement les frais le 15 janvier dernier, le jour de sa suppression, la BNS a décidé d’expérimenter un outil rarement utilisé par le passé : l’instauration de taux négatifs dans l’économie. L’objectif consiste, en théorie, à dissuader les investisseurs internationaux à spéculer sur notre monnaie en infligeant un coût à la détention de francs suisses par la sanction de taux négatifs. En réalité, cette décision fera davantage de mal à l’économie suisse qu’à de potentiels vils spéculateurs étrangers en pénalisant les investisseurs institutionnels, fonds de pension, assurances-vie, les trésoreries d’entreprises prudentes qui subissent déjà des problèmes de compétitivité à l’exportation. Dans un tel environnement financier, la recapitalisation des fonds de pension est préprogrammée et le contribuable suisse doit s’attendre à passer à nouveau à la caisse pour recapitaliser à l’avenir les caisses de pension publiques. Un système bancaire et financier ne peut décemment pas vivre longtemps dans un système de taux négatifs, les rares expériences tentées dans le passé n’ayant guère duré longtemps. En 1979, les taux d’intérêt ont, pendant quelques jours, été négatifs en Suisse au cours d’une période où le franc suisse s’était fortement apprécié sur le marché des changes. Dans l’histoire économique récente, la banque centrale suédoise a introduit en septembre 2009 des taux d’intérêt négatifs, préfigurant la décision de la BCE quelques années plus tard. Cette politique destinée à forcer les banques à prêter n’a jusqu’alors guère déployé ses effets sur la transmission des mécanismes du crédit aux emprunteurs finaux. Même la banque centrale japonaise qui lutte depuis des années contre la déflation n’a pas introduit cet outil de politique monétaire.

La BNS a gonflé de manière démesurée l’actif de son bilan en devises étrangères, suite à la défense du taux plancher ces dernières années. Notre banque centrale a certes diversifié ses placements en devises étrangères en achetant de la dette d’Etat mais aussi des actions. Dans l’une de nos dernières réflexions sur le sujet, nous avions qualifié la BNS de plus grand hedge funds du monde avec un avantage de taille : notre banque centrale n’a pas emprunté de l’argent pour investir comme le font la plupart des hedge funds mais l’a créé ex nihilo pour l’investir dans des actifs financiers. Aujourd’hui, la BNS perd des sommes considérables suite aux ajustements qui se sont produits le 15 janvier dernier sur les marchés des changes. Comment la BNS va-t-elle gérer son bilan surdimensionné pour la taille du pays alors que sa politique interventionniste n’a plus de raison d’être et que théoriquement, elle devrait ramener son bilan à une taille raisonnable en vendant des obligations ou des actions étrangères, convertir le fruit des ventes en francs suisses et stériliser la création monétaire des années 2011-2015 en compensant le passif de son bilan ? Ces opérations de stérilisation monétaire vont à l’encontre de l’idée de créer un fonds souverain puisque l’éventuel argent finançant un tel fonds devrait être remboursé et que deuxièmement, ces opérations créeraient une demande pour le franc suisse sur le marché des changes alors que la politique de la BNS vise justement le contraire. On constate en conclusion que la marge de manœuvre de notre banque centrale est aujourd’hui de plus en plus limitée et que notre institut d’émission, après avoir vainement essayé de maintenir un taux plancher, a tiré ses dernières cartouches en tentant d’instaurer dans notre économie des taux d’intérêt négatifs, négation même du fonctionnement d’un système bancaire et financier sain et cohérent.

 

Mars 2015

Last modified on Tuesday, 22 December 2015 17:55
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